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Monday, February 08, 2010

Baudelaire, Les Projets

Il se disait, en se promenant dans un grand parc solitaire: Comme elle serait belle dans un costume de cour, compliqué et fastueux, descendant, à travers l'atmosphère d'un beau soir, les degrés de marbre d'un palais, en face des grandes pelouses et des bassins! Car elle a naturellement l'air d'une princesse.

En passant plus tard dans une rue, il s'arrêta devant une boutique de gravures, et, trouvant dans un carton une estampe représentant un paysage tropical, il se dit: Non! ce n'est pas dans un palais que je voudrais posséder sa chère vie. Nous n'y serions pas chez nous. D'ailleurs ces murs criblés d'or ne laisseraient pas une place pour accrocher son image; dans ces solennelles galeries, il n'y a pas un coin pour l'intimité. Décidément, c'est là qu'il faudrait demeurer pour cultiver le rêve de ma vie.

Et, tout en analysant des yeux les détails de la gravure, il continuait mentalement: Au bord de la mer, une belle case en bois, enveloppée de tous ces arbres bizarres et luisants dont j'ai oublié les noms..., dans l'atmosphère, une odeur enivrante, indéfinissable..., dans la case un puissant parfum de rose et de musc..., plus loin, derrière notre petit domaine, des bouts de mâts balancés par la houle..., autour de nous, au-delà de la chambre éclairée d'une lumière rose tamisée par les stores, décorée de nattes fraîches et de fleurs capiteuses, avec de rares sièges d'un rococo portugais, d'un bois lourd et ténébreux (où elle reposerait si calme, si bien éventée, fumant le tabac légèrement opiacé!), au-delà de la varangue, le tapage des oiseaux ivres de lumière, et le jacassement des petites négresses..., et, la nuit, pour servir d'accompagnement à mes songes, le chant plaintif des arbres à musique, des mélancoliques filaos! Oui, en vérité, c'est bien là le décor que je cherchais. Qu'ai-je à faire de palais?

Et plus loin, comme il suivait une grande avenue, il aperçut une auberge proprette, où d'une fenêtre égayée par des rideaux d'indienne bariolée se penchaient deux têtes rieuses. Et tout de suite: Il faut, - se dit-il, - que ma pensée soit une grande vagabonde pour aller chercher si loin ce qui est si près de moi. Le plaisir et le bonheur sont dans la première auberge venue, dans l'auberge du hasard, si féconde en voluptés. Un grand feu, des faïences voyantes, un souper passable, un vin rude, et un lit très large avec des draps un peu âpres, mais frais; quoi de mieux?

Et en rentrant seul chez lui, à cette heure où les conseils de la Sagesse ne sont plus étouffés par les bourdonnements de la vie extérieure, il se dit: J'ai eu aujourd'hui, en rêve, trois domiciles où j'ai trouvé un égal plaisir. Pourquoi contraindre mon corps à changer de place, puisque mon âme voyage si lestement? Et à quoi bon exécuter des projets, puisque le projet est en lui-même une jouissance suffisante?



This is an essential question of modern art, what is the correspondence between the universe imagined by the artist and the real world, and Baudelaire is one of the first modern artists. Here is his answer: the worlds created by the artist are self-contained and don't need any support from reality. À quoi bon exécuter des projets, puisque le projet est en lui-même une jouissance suffisante?

Here is an English version:

He said to himself, as he walked in a large, empty park: How beautiful she would be in elaborate and opulent court dress, descending through the air of a beautiful evening the marble stairs of a palace, in front of broad lawns and fountains! Because she naturally possesses the manners of a princess.

Later, walking down a street, he stopped in front of an engraver's shop and, finding on a rack a print depicting a tropical landscape, he said to himself: No! It is not in a palace that I would wish to possess her dear life. We wouldn't feel at home. And, in any case, I would find no space on those gold-covered walls to hang her portrait: in those solemn chambers there is no corner for intimacy. Definitely, it's there that I must live in order to cultivate the dream of my life.
And, while analyzing with his eyes the details of the engraving, he continued inside his head: By the seashore, a beautiful wooden cabin, enveloped by all of those bizarre and shiny trees whose names I have forgotten ..., in the air, an intoxicating, unidentifiable scent ..., in the cabin, a strong perfume of rose and musk ..., futher away, behind our little domain, the tips of masts rocked by the swell of the sea ..., around us, outside of our room, lit by a pink light filtering through blinds, decorated with fresh straw mats and heady flowers, furnished with a few chairs made in a Portuguese Rococo style out of a heavy, dark wood (where she will repose, so calm, so nicely fanned, smoking tobacco lightly laced with opium!), outside of room like a ship's cabin, the noise of birds drunk with light, adn the chattering of little negresses ..., and at night, to serve as an accompaniment to my dreams, the plaintive song of musical trees, the melancholy filaos! Yes, indeed, that is the setting I was looking for. What do I need with palaces?

And, further on, as he was proceeding down a broad avenue, he saw a tidy little tavern, where two laughing heads were leaning out of a window made cheerful by checked calico curtains. And all of the sudden: My mind, he said to himself, must be a real vagrant to seek so far away what is so close to me. Pleasure and happiness are in the first tavern you come upon, in a tavern chosen at random, so fecund in delights. A big fire, gaudy china, a decent meal, an uncouth wine, and a very big bed with slightly rough but clean sheets -- What could be better?
And returning home alone, at that hour when the councils of Wisdom are no longer smothered by the bustling of the outside world, he said to himself: Today I had, in my dreams, three residences in all of which I found an equal pleasure. Why force my body to move, if my soul travels so easily? And why execute plans, if the plan is, in itself, sufficient enjoyment?



Baudelaire was once in Mauritius, so he was well aware of the beauty of filaos.

(Baudelaire)

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