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Friday, February 05, 2010

Baudelaire: Les Veuves

Manet's La Musique au Tuileries passes for the first Impressionist work in art history. Baudelaire is there among the other personages, just sketched, behind the first lady in white from the left.

Think at this painting, think at Baudelaire's poem, Les Veuves: the same Parisian universe of XIX-th century, depicted with the same calm tones, the same science of choosing the right colors for the right spots, the same way of organizing the storyboard and of following the narrative: brush at Manet, pen at Baudelaire, colors versus words; some scholars noted precisely this intertextuality between Manet and Baudelaire.

Édouard Manet - La Musique au Tuileries, 1862
oil on canvas
London National Gallery

Thus Michèle Battut had to build a replica both to the poem and to the canvas, and she answered the challenge with her minimalistic approach: an elegant lithograph with Paris away in the mist, the solitary trees speaking with great restraint about the desolate life of the widows.


Michèle Battut, Les Veuves, 1988
(https://www.idburyprints.com/)


As for Bernadette Kelly, she offered her own vision: a splendid elegy in an unbelievable flow of dark tones.

Bernadette Kelly - Les Veuves, 1979
(https://www.idburyprints.com/)


I would like to add here the etching of Mariette Lydis, offering an ambiguous sexual approach. leaving to any of you to formulate an answer: which approach is the most interesting, the minimalism of Ms. Battut, the shy elegy of Ms. Kelly, or the sexual suggestion of Ms. Lydis?

Mariette Lydis – Les Veuves, 1948
etching - aquatint

(https://www.idburyprints.com/)


Vauvenargues dit que dans les jardins publics il est des allées hantées principalement par l'ambition déçue, par les inventeurs malheureux, par les gloires avortées, par les coeurs brisés, par toutes ces âmes tumultueuses et fermées, en qui grondent encore les derniers soupirs d'un orage, et qui reculent loin du regard insolent des joyeux et des oisifs. Ces retraites ombreuses sont les rendez-vous des éclopés de la vie.
C'est surtout vers ces lieux que le poète et le philosophe aiment diriger leurs avides conjectures. Il y a là une pâture certaine. Car s'il est une place qu'ils dédaignent de visiter, comme je l'insinuais tout à l'heure, c'est surtout la joie des riches. Cette turbulence dans le vide n'a rien qui les attire. Au contraire, ils se sentent irrésistiblement entraînés vers tout ce qui est faible, ruiné, contristé, orphelin.
Un oeil expérimenté ne s'y trompe jamais. Dans ces traits rigides ou abattus, dans ces yeux caves et ternes, ou brillants des derniers éclairs de la lutte, dans ces rides profondes et nombreuses, dans ces démarches si lentes ou si saccadées, il déchiffre tout de suite les innombrables légendes de l'amour trompé, du dévouement méconnu, des efforts non récompensés, de la faim et du froid humblement, silencieusement supportés.
Avez-vous quelquefois aperçu des veuves sur ces bancs solitaires, des veuves pauvres? Qu'elles soient en deuil ou non, il est facile de les reconnaître. D'ailleurs il y a toujours dans le deuil du pauvre quelque chose qui manque, une absence d'harmonie qui le rend plus navrant. Il est contraint de lésiner sur sa douleur. Le riche porte la sienne au grand complet.
Quelle est la veuve la plus triste et la plus attristante, celle qui traîne à sa main un bambin avec qui elle ne peut pas partager sa rêverie, ou celle qui est tout à fait seule? Je ne sais... Il m'est arrivé une fois de suivre pendant de longues heures une vieille affligée de cette espèce; celle-là roide, droite, sous un petit châle usé, portait dans tout son être une fierté de stoïcienne.
Elle était évidemment condamnée, par une absolue solitude, à des habitudes de vieux célibataire, et le caractère masculin de ses moeurs ajoutait un piquant mystérieux à leur austérité. Je ne sais dans quel misérable café et de quelle façon elle déjeuna. Je la suivis au cabinet de lecture; et je l'épiai longtemps pendant qu'elle cherchait dans les gazettes, avec des yeux actifs, jadis brûlés par les larmes, des nouvelles d'un intérêt puissant et personnel.
Enfin, dans l'après-midi, sous un ciel d'automne charmant, un de ces ciels d'où descendent en foule les regrets et les souvenirs, elle s'assit à l'écart dans un jardin, pour entendre, loin de la foule, un de ces concerts dont la musique des régiments gratifie le peuple parisien.
C'était sans doute là la petite débauche de cette vieille innocente (ou de cette vieille purifiée), la consolation bien gagnée d'une de ces lourdes journées sans ami, sans causerie, sans joie, sans confident, que Dieu laissait tomber sur elle, depuis bien des ans peut-être! trois cent soixante-cinq fois par an.
Une autre encore:
Je ne puis jamais m'empêcher de jeter un regard, sinon universellement sympathique, au moins curieux, sur la foule de parias qui se pressent autour de l'enceinte d'un concert public. L'orchestre jette à travers la nuit des chants de fête, de triomphe ou de volupté. Les robes traînent en miroitant; les regards se croisent; les oisifs, fatigués de n'avoir rien fait, se dandinent, feignant de déguster indolemment la musique. Ici rien que de riche, d'heureux; rien qui ne respire et n'inspire l'insouciance et le plaisir de se laisser vivre; rien, excepté l'aspect de cette tourbe qui s'appuie là-bas sur la barrière extérieure, attrapant gratis, au gré du vent, un lambeau de musique, et regardant l'étincelante fournaise intérieure.
C'est toujours chose intéressante que ce reflet de la joie du riche au fond de l'oeil du pauvre. Mais ce jour-là, à travers ce peuple vêtu de blouses et d'indienne, j'aperçus un être dont la noblesse faisait un éclatant contraste avec toute la trivialité environnante.
C'était une femme grande, majestueuse, et si noble dans tout son air, que je n'ai pas souvenir d'avoir vu sa pareille dans les collections des aristocratiques beautés du passé. Un parfum de hautaine vertu émanait de toute sa personne. Son visage, triste et amaigri, était en parfaite accordance avec le grand deuil dont elle était revêtue. Elle aussi, comme la plèbe à laquelle elle s'était mêlée et qu'elle ne voyait pas, elle regardait le monde lumineux avec un oeil profond, et elle écoutait en hochant doucement la tête.
Singulière vision! A coup sûr, me dis-je, cette pauvreté-là, si pauvreté il y a, ne doit pas admettre l'économie sordide; un si noble visage m'en répond. Pourquoi donc reste-t-elle volontairement dans un milieu où elle fait une tache si éclatante?
Mais en passant curieusement auprès d'elle, le crus en deviner la raison. La grande veuve tenait par la main un enfant comme elle vêtu de noir; si modique que fût le prix d'entrée, ce prix suffisait peut-être pour payer un des besoins du petit être, mieux encore, une superfluité, un jouet.
Et elle sera rentrée à pied, méditant et rêvant, seule, toujours seule; car l'enfant est turbulent, égoïste, sans douceur et sans patience; et il ne peut même pas, comme le pur animal, comme le chien et le chat, servir de confident aux douleurs solitaires.

And here is an English version:

Vauvenargues says that in all public parks there are alleyways frequented primarily by disappointed ambition, by unfortunate inventors, by aborted glories, by broken hearts, by all of those tumultuous and closed souls in whom still rumble the last sighs of a storm, and who draw back from the insolent gaze of the joyous and the idle. These shadowy retreats are the meeting place for life's cripples.
It is especially toward these sites that the poet and the philosopher like to direct their avid conjectures. There they find ample fodder. For if there is one place that they scorn to visit, as I suggested just a short while ago, it is above all else the joy of the rich. That turbulent emptiness has no attraction for them. On the contrary, they feel themselves irresistably drawn toward all that is weak, ruined, grieved, orphaned.
An experienced eye is never deceived. In those stiff or dejected features, in those dull and hollow eyes, or in eyes sparkling with the last flashes of the struggle, in those deep and numerous wrinkles, in those so slow or so abrupt gaits, it reads instantly the numberless captions: love betrayed, devotion unrecognized, efforts not rewarded, hunger and cold humbly and silently endured.
Have you ever seen widows sitting alone on benches -- poor widows? Whether or not they are dressed in mourning, it is easy to recognize them. Indeed, there is always something missing from the mourning clothes of the poor, an absence of harmony that renders them even more heartrending. The poor are forced to scrimp on their suffering. The rich wear their's as a complete suit.
Which is the saddest and most saddening of widows -- she who drags by the hand a toddler whose reverie she cannot share, or she who is completely alone? I do not know ... I once followed for long hours an afflicted old woman of the second sort; stiff, erect, wearing a tiny, worn shawl, she carried herself with all of the pride of a Stoic.
She was obviously condemned by an absolute solitude to the habits of an old bachelor, and the masculine character of her manners added a piquant mystery to their austerity. I do not know in which miserable cafe and in what manner she ate her lunch. I followed her to a reading room, and I spied on her for a long time while she searched in the newspapers with active eyes, formerly burned by tears, for news of a powerful and personal interest.
Finally, in the afternoon, under a charming Autumn sky -- one of those skies from which descend a crowd of regrets and memories -- she sat down in a park, off by herself, to listen, far from the crowd, to one of those concerts with which military bands favor the Parisian populace.
Undoubtedly, this was the little debauche that this innocent old woman (or this purified old woman) allowed herself, a well-earned consolation for one more of those heavy days without friends, without conversation, without joy, without someone to confide in, which God allowed to fall upon her, for many years already, perhaps! Three-hundred and sixty-five times per year.
And another:
I can never keep myself from casting a glance -- if not universally sympathetic, at least curious -- on the crowd of pariahs who press up against the enclosure outside an open air concert. The orchestra throws out into the night festive songs, triumphant and voluptuous. Gowns trail, shimmering; glances cross; the idle rich, tired from having done nothing, saunter about, pretending to indolently digest the music. Here there is nothing but wealth and happiness, nothing that does not respire and inspire carefreeness and the pleasure of just letting oneself live, nothing except the sight of that mob over there that leans against the exterior barrier, catching for free, at the caprice of the wind, a scrap of music, and watching the sparkling furnace of the interior.
It is always an interesting thing, this reflection of the joy of the rich in the eye of the poor. But that day, across this crowd dressed in workers' smocks and cheap calico, I saw a being whose nobility was in striking contrast to the surrounding triviality.
She was a tall woman, majestic and so noble in all of her bearing that I do not remember ever having seen her like in all of the collections of aristocratic beauties of the past. A perfume of haughty virtue emanated from all of her person. Her sad, thin face was in perfect accord with the full mourning dress in which she was garbed. She too, like the plebeian masses with which she mingled but did not see, looked at the luminous world with a probing eye, and she gently nodded her head while she listened.
A singular vision! Certainly, I said to myself, That poverty there, if it is in fact poverty, must not admit sordid economizing; such a noble face assures me of that. Why then does she remain willingly in an environment which she stands out so strikingly against?
But when, out of curiosity, I passed near by her, I believe I divined the reason. The tall widow was holding a child by the hand who was, like herself, dressed in black. As cheap as a ticket might have been, that money would perhaps be enough to pay for one of the little being's needs, or, even better, to pay for something superfluous, a toy.
And she would return home on foot, meditative and dreamy, alone, always alone. For a child is turbulent, egotistical, without gentleness and without patience. And he cannot even, like a pure animal, like a cat or a dog, serve as a confidant to solitary sorrows.

(Baudelaire)

(Manet)

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