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Wednesday, May 18, 2016

Massillon, Sur le petit nombre des élus (1699), Seconde Partie

(source: scriptorium)
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... des règles auxquelles ni les temps, ni les siècles, ni les mœurs ne sauroient jamais rien changer ; que le ciel et la terre passeront ; que les mœurs et les usages changeront ; mais que ces règles divines seront toujours les mêmes ...


Seconde Partie

Peu de gens se sauvent, parce que les maximes les plus universellement reçues dans tous les états, et sur lesquelles roulent les mœurs de la multitude, sont des maximes incompatibles avec le salut : sur l’usage des biens, sur l’amour de la gloire, sur la modération chrétienne, sur les devoirs des charges et des conditions, sur le détail des œuvres prescrites, les règles reçues, approuvées, autorisées dans le monde, contredisent celles de l’Evangile ; et dès- la elles ne peuvent que conduire à la mort.

Je n’entrerai pas ici dans un détail trop vaste pour un discours, et trop peu sérieux meme pour la chaire chrétienne. Je ne vous dis pas que c’est un usage établi dans le monde, qu’on peut mesurer sa dépense sur son bien et sur son rang ; et que pourvu que ce soit du patrimoine de ses pères, ou peut s’en faire honneur, ne mettre point des bornes à son luxe, et ne consulter dans ses profusions, que son orgueil et ses caprices. Mais la modération chrétienne a ses règles : vous n’êtes pas le maître absolu de vos biens ; et tandis sur-tout que mille malheureux souffrent, tout ce que vous employez au-delà des besoins et des bienséances de votre état, est une inhumanité et un vol que vous faites aux pauvres. Ce sont là, dit- on, des raffinemens de dévotion, et en matière de dépens et de profusion, rien n’est blamable et excessif selon le monde, que ce qui peut aboutir à déranger la fortune et altérer les affaires. Je ne vous dis pas que c’est un usage reçu, que l’ordre de la naissance, ou les intérêts de la forlune décident toujours de nos destinées, et règlent le choix du siècle ou de l’Église, de la retraite ou du mariage. Mais la vocation du Ciel, ô mon Dieu ! prend-elle sa source dans les lois humaines d’une naissance charnelle ? Qn ne peut pas tout établir dans le monde, et il seroit triste de voir prendre à des enfans des partis peu dignes de leur rang et de leur naissance. Je ne vous dis pas que l’usage veut que les jeunes personnes du sexe, qu’on élève pour le monde, soient instruites, de bonne heure de tous les ait« propres à réussir et à plaire, et exercées avec soin dans une science funneste, sur laquelle nos cœurs ne naissent que trop instruits. Mais l’éducation chrétienne est une éducation de retraite, de pudeur, de modestie, de haine du monde. On a beau dire ; il faut vivre comme on vit : et des mères, d’ailleurs chrétiennes et timorées, ne s’avisent pas même d’entrer en scrupule sur cet article. Ainsi vous êtes jeune encore ; c’est la saison des plaisirs : il ne soroit pas juste de vous interdire à cet âge, ce que tous les autres se sont permis : des années plus mûres amèneront des mœurs plus sérieuses. Vous êtes né avec un nom ; il faut parvenir à fonce d’intrigués, de bassesses, de dépense ; faire votre idole de votre fortune : l’ambition, si condamnée par les règles de la foi, n’est plus qu’un, sentiment digne de fotre nom et de votre naissance. Vous êtes d’un sexe et d’un rang qui vous met dans les bienséances du monde ; vous ne pouvez pas vous faire des mœurs à part : il faut vous trouver aux réjouissances publiques, aux lieux où celles de votre rang et de votre âge s’assemblent, être des mêmes plaisirs, passer les jours dans les mêmes inutilités, vous exposer aux mêmes périls : ce sont des manières reçues, et vous n’êtes pas pour les réformer. Voilà la doctrine du monde, Or, souffrez que je vous demande ici, qui vous rassure dans ces Toies ? Quelle est la règle qui les justifie dans votre esprit, qui vous autorise, vous, à ce faste, qui ne convient ni au titre que vous avez reçu dans votre baptême, ni peut-être à ceux que vous tenez de vos ancêtres ? Vous, à ces plaisirs publics, que vous ne croyez innocens que parce que votre ame trop familiarisée avec le crime n’en sent plus les dangereuses impressions ? Vous, à ce jeu éternel, qui est devenu la plus importante occupation de votre vie ? Vous, à vous dispenser de toutes les lois de l’Église ; à mener une vie molle, sensuelle, sans vertu, sans souffrance, sans aucun exercice pénible de religion ? Vous, à solliciter le poids formidable des honneurs du Sanctuaire, qu’il suffit d’avoir désiré pour en être indigne devant Dieu ? Vous, à vivre comme étranger au milieu de votre propre maison, à ne pas daigner vous informer dos mœurs de ce peuple de domestiques qui dépend de vous, à ignorer par grandeur s’ils croient au Dieu que vous adorez, et s’ils remplissent les devoirs de la religion que vous professez ? Qui vous autorise à des maximes si peu chrétiennes ? Est-ce l’Evangile de J. C. ? Est-ce la doctrine des Saints ? Sont-ce les lois de l’Église ? Car il faut une regie pour être en sûreté ; quelle est la vôtre ? L’usage ; voilà tout ce que vous avez à nous opposer ; on ne voit personne autour de soi qui ne se conduise sur les mêmes règles ; entrant dans le monde, ou y a trouvé ces mœurs établies ; nos pères avoient ainsi vécu, et c’est d’eux que nous les tenons ; les plus sensés du siècle s’y conforment ; en n’est pas plus sage tout seul que tous les hommes ensemble ; il faut s’en. tenir à ce qui s’est toujours pratiqué, et ne vouloir pas être tout seul de son côte.

Voilà ce qui vous rassure contre tontet les terreurs de la religion ; personne ne remonte jusqu’à la loi ; l’exemple public est le seul garant de nos mœurs ; on ne fait pas attention que les lois des peuples sont vaines, comme dit l’Esprit-Saint : Quia leges populorum vanœ sunt (Jerem. 1o ; 3) ; que J. C. nous a laissé des règles auxquelles ni les temps, ni les siècles, ni les mœurs ne sauroient jamais rien changer ; que le ciel et la terre passeront ; que les mœurs et les usages changeront ; mais que ces règles divines seront toujours les mêmes. On se contente de regarder autour de soi : on ne pense pas que ce qu’on appelle aujourd’hui usage, étoil des singularítés monstrueuses avant que les mœurs des Chrétiens eussent dégénéré ; et que si la corruption a depuis gagné, les dérègleniens, pour avoir perdu leur singularité, n’ont pas pour cela perdu leur malice : on ne voit pas que nous serons jugés sur l’Evangile, el non sur l’usage ; sur les exemples des Saints, et non sur les opinions des hommes ; que les coutumes qui ne se sont établies parmi les Fidèles qu’avec l’affaiblissement de la foi, sont des abus dont il faut gémir, et non des modèles à suivre ; qu’en changeant les mœurs, elles n’ont pas changé les devoirs ; que l’exemple commun qui les autorise, prouve seulement que la vertu est rare, mais non pas que le désordre est permis : en un mot, que la piété et la vie chrétienne sont trop amères à la nature, pour être jamais le parti du plus grand nombre. Venez nous dire maintenant que vous ne faites que ce que font tous les autres ; c’est justement pour cela que vous vous damnez., Quoi ! le plus terrible préjugé de votre condamnation deviendroit le seul motif de votre confiance ! Quelle est dans l’Ecriture la voie qui conduit à la mort ? N’est-ce pas relie où marche le grand nombre ? Quel est le parti des réprouvés ? N’est-ce pas la multitude ? Vous ne faites que ce que font les autres ? mais ainsi périrent du temps de Noe tous ceux qui furent ensevelis sous les eaux du déluge ; du temps de Nabuchodonosor, tous ceux qui se prosternèrent devant la statue sacrilège ; du temps d’Elie, tous ceux qui fléchirent le genou devant Baal ; du temps d’Eléasar tous ceux qui abandonnèrent la loi de leurs pères. Vous ne faites que ce que font les autres, mais c’est ce que l’Ecriture vous défend : Ne vous conformez point a ce siècle corrompu ( Rom. l2 ; 2), nous dit-elle : or, le siècle corrompu n’est pas le petit nombre de Justes que vous n’imitez point ; c’est la multitude que vous suivez. Vous ne faites que ce que font les autres ! vous aurez donc le même sort qu’eux. Or, malheur à toi, s’écrioit autrefois S. Augustin, torrent fatal des coutumes humaines ! ne suspendras- tu jamais ton cours ? entraîneras-tu jusqu’à la fin les enfans d’Adam dans l’abîme immense et terrible ? Voe tibí, flamen morís hurnani ! quomque volves Evœ filias in mare magnum et formidolosum (S. Aug. in Conf. l. i. ch. 16. n. a5).

Au lieu de se dire à soi-même : Quelles sont mes espérances ? Il y a dans l’Église deux voies : l’une large, où passe presque tout le monde, et qui aboutit à la mort ; l’autre étroite, où très-peu de gens entrent, et qui couduit à la vie. De quel côté suis- je ? mes mœurs, sont-ce les mœurs ordinaires de ceux de mon rang, de mon âge, de mon état ; suis- je avec le grand nombre ? je ne suis donc pas dans la bonne voie ; je me perds ; le grand nombre dans chaque état n’est pas le parti de ceux qui se sauvent. Loin de raisonner de la Sorte, on se dit à soi-même : Je ne suis pas de pire condition que les autres ; ceux de mon rang et de mon âge vivent ainsi, pourquoi ne vivrois-je pas comme eux ? Pourquoi, mon cher Auditeur ? pour cela même : la vie commune ne sauroit être une vie chrétienne ; les Saints ont été dans tous les siècles des hommes singuliers ; ils ont eu leurs mœurs à part ; et ils n’ont été saints, que parce qu’ils n’ont pas ressemblé au reste des hommes.

L’usage avoit prévalu au siècle d’Esdras, qu’on s’alliât, malgré la défense, avec des femmes étrangères ; l’abus étoit universel ; les prêtres et le peuple n’en faisoient plus de scrupule. Mais que fit ce saint restaurateur de la loi ? suivit-il l’exemple de ses frères ? Crut- il qu’une transgression commune fût devenue plus légitime ? Il en appela de l’abus à la règle ; il prit le livre de la loi entre les mains ; il l’expliqua au peuple consterné, et corrigea l’usage par la vérité.

Suivez de siècle en siècle l’histoire des Justes, et voyez si Loth se conformoit aux voies de Sodome, et si rien ne le distinguoit de ses citoyens , si Abraham vivoit comme ceux de son siècle ; si Job étoit semblable aux autres princes de sa nation ; si Esther, dans la Cour d’Achassuérus, se conduit soit comme les autres femmes de ce prince ; s’il y avoit beaucoup de veuves à Béthulie et dans Israël, qui ressemblassent à Judith ; si parmi les enfans de la captivité, il n’est pas dit de Tobie seul qu’il n’imitoit pas la conduite de ses frères, et qu’il fuyoit même le danger de leur société et de leur commerce : voyez si dans ses siècles heureux, où les Chrétiens étoient encore saints, ils ne brilloient pas comme des astres au milieu des nations corrompues, et s’ils ne servoient pas de spectacle aux Anges et aux hommes, par la singularité de leurs mœurs ; si les Païens ne leur reprochoient pas leur retraite, leur éloignement des théâtres, des cirques, et des autres plaisirs publics ; s’ils ne se plaignoient pas que les Chrétiens affectoient de se distinguer sur toutes choses de leurs citoyens ; de former comme un peuple à part au milieu de leur peuple ; d’avoir leurs lois et leurs usages particuliers ; et si, dès-là qu’un homme avoit passé du côté des Chrétiens, ils ne le comptoient pas comme un homme perdu pour leurs plaisirs, pour leurs assemblées et pour leurs coutumes : enfin, voyez si dans tous les siècles, les Saints, dont la vie et les actions sont venues jusqu’à nous, ont ressemblé au reste des hommes. Vous nous direz. peut-être que ce sont là des singularités et des exceptions, plutôt que des règles que tout le monde soit obligé de vivre : ce sont des exceptions, il est vrai ; .mais c’est que la règle générale est de se perdre ; c’est qu’une ame fidèle au milieu du monde, est toujours une singularité qui tient du prodige. Tout le monde, dites- vous, n’est pas obligé de suivre ces exemples : mais est-ce que la sainteté n’est pas la vocation générale de tous les Fidèles ? Est-ce que pour être sauvé il ne faut pas être saint ? Est-ce que le Ciel doit beaucoup coûter à quelques-uns, et rien du tout aux autres ? Est-ce que vous avez un autre Evangile à suivre, d’autres devoirs à remplir, et d’autres promesses à espérer que les Saints ? Ah ! puisqu’il y avoit une voie plus commode pour arriver au salut, pieux Fideles qui jouissez dans le Ciel d’un royaume que vous n’avez emporté que par la violence, et qui a été le prix de votre sang et de vos travaux, pourquoi nous laissiez-vous des exemples si dangereux et si inutiles ? Pourquoi nous avez-vous frayé un chemin âpre, désagréable, et tout propre à rebuter notre foiblesse, puisqu’il y en avoit un autre plus doux et plus beau, que vous auriez pu nous montrer pour nous encourager et nous attirer, en nous facilitant notre carrière ! Grand Dieu ! que les hommes consultent peu la raison dans l’affaire de leur salut éternel ! Rassurez-vous après cela sur la multitude ; comme si le grand nombre pouvoit rendre le crime impuni, et que Dieu n’osât perdre tous les hommes qui vivent comme vous. Mais que sont tonsjës hommes ensemble devant Dieu ? La multitudedes coupables l’eîhpécha-t-el le d’exterminer toute chair au temps du déluge ; de faire descendre le fendu ciel sur cinq villes infames ; d’engloutir Pharaon et touleson armée sous les eaux ; de frapper de mort tous les murmurateurs dans le désert ? Ah ! les roi* de la terre peuvent avoir égard au grand nombre de coupables, parce que la punition devient impossible, ou du moins dangereuse, dès que la faute est trop générale. Mais Dieu qui secoue les impies de dessus la terre, dit Job, comme on secoue la poussière qui s’est attachée au vêtement ; Dieu devant qui les peuples et les nations sont comme si elles n’étoient pas, il ne compte pas les coupables, il ne regarde que les crimes : et tout ce que peut présumer la foible créature des complices de sa transgression, c’est de 1rs avoir pour compagnons de son infortune. Mais si peu de gens se sauvent, parce que les maximes les plus universellement reçues, sont des maximes de péché ; peu de gens se sauvent, parce que les maximes et les obligations les plus universellement ignorées ou rejetées, sont l« s plus indispensable au salut. Dernière réflexion qui n’est encore que la preuve et l’éclaircissement des précédentes.



(Massillon)

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